Commandée à Paol Keineg par le Théâtre de Cornouaille (Quimper), Terre lointaine est créée à la scène par le Théâtre de Folle Pensée (Saint-Brieuc), en collaboration avec les compagnies Dérézo (Brest) et Digor Dor (Rennes). Une affaire de famille bretonne pour célébrer un cousin irlandais, en quelque sorte. Et une pièce attachante, malgré quelques moments où la mise en scène ne parvient pas à la hauteur du texte.
Sir Roger Casement va mourir. Diplomate anobli par la couronne d’Angleterre, il l’a trahie pour se rallier à la cause des indépendantistes irlandais. Inacceptable, d’autant que Casement a tenté, en 1914, un rapprochement avec l’Allemagne. Et, surtout, qu’il est homosexuel ! Coupable de haute trahison doublée d’atteinte aux bonnes mœurs, il sera pendu au milieu de l’été 1916.
Deux jours avant qu’on ne lui passe la corde au cou, Casement reçoit, dans sa cellule de la prison de Pentonville, la visite de son amie Alice Green. Puis celle du fantôme de Mariette, sa servante congolaise. Il revit son interrogatoire, son séjour en Allemagne, son retour en Irlande, sa rencontre avec Joseph Conrad au Congo, ses enquêtes auprès des populations asservies par les colons. De monologues poétiques en dialogues au couteau, Terre lointaine est un voyage à travers des bribes de la mémoire de Casement. Sans souci chronologique ou géographique, la pièce dessine Casement par ses silences, ses quelques confessions et les « témoignages » de ses proches. Aussi certain de la justesse de son combat qu’il doute de la pertinence de son engagement, Casement refuse d’être le héros d’une Irlande qui n’existe pas autant que le traître d’une Angleterre qui lui a apporté la gloire. Face à l’histoire et à lui-même, il veut assumer ses contradictions en même temps qu’il est fatigué de les vivre.
Toujours présent sur scène, Charlie Windelschmidt compose un Casement oscillant sans cesse entre regrets et envie d’en découdre, humour et désespoir. Le trio principal est complété par Jeanne François (Alice Green) et Yaya Mbilé (Mariette), très justes en amies fidèles et en amantes impossibles. Delphine Simon, Farid Bouzenad et Alain Meneust se délectent dans l’interprétation des 23 autres personnages que croise Casement au détour d’une multitude de scènes souvent courtes.
Pour que le public parvienne à reconstituer ce puzzle de sensations et de souvenirs, le metteur en scène Annie Lucas a fait appel au scénographe Xavier Boyaud, qui a conçu un plateau assez sobre, où trônent un paravent et plusieurs écrans de diverses tailles. Chaque lieu y est recréé par les projections du vidéaste Jacques Hoepffner et les ambiances sonores du musicien François Possémé. C’est certainement là le point le moins abouti du spectacle. Ces artifices de mise en scène, s’ils savent faire oublier leur côté technologique et assurer la plupart du temps des transitions en douceur, desservent parfois le texte en rendant les comédiens inaudibles. Pire, la chute d’une des scènes les plus fortes de la pièce, où Mariette déverse un panier de mains coupées aux pieds de colons belges, en devient quasiment incompréhensible. Le spectacle en reste plaisant, mais se prive pour peu de choses d’être véritablement enthousiasmant.