Bleu Pétrole, son nouvel album qui avait la lourde tâche de succéder à L’Imprudence, déçoit par excès de… prudence. Ce qui n’enlève rien à la classe d’Alain Bashung, que l’on pourra voir à Bobital en juillet puis à Crozon en août.
Six ans après L’Imprudence, sommet de noire poésie et de lyrisme fiévreux, dix ans après Fantaisie militaire, grande et énergique claque, Alain Bashung revient avec un nouveau disque intitulé Bleu Pétrole. Superbe pochette comme à l’habitude, mais quid du contenu ? Le générique suscite en effet quelque appréhension. Car si l’on retrouve bon nombre des musiciens du précédent album sur celui-ci (le batteur Martyn Barker, le bassiste Simon Edwards et le guitariste Marc Ribot), l’absence de Jean Fauque au stylo est moins réjouissante. Surtout, deux noms laissent planer le doute : Gaëtan Roussel, de Louise Attaque, dont on peut se demander ce qu’il a de commun avec l’univers de Bashung, et le producteur Mark Plati, aux manettes de l’indigeste choucroute qu’est Variéty, le dernier disque des Rita Mitsouko paru l’an passé.
En assez grande partie, les craintes sont confirmées : musicalement, et malgré quelques belles mélodies, ce nouvel album est nettement en-dessous des précédents — rythmiques indignes et nappes de cordes sans finesse en sont la cause principale. Même déception au niveau des textes qui, hormis là aussi quelques traits, n’ont souvent de parfum que par la grâce de l’interprète. Pour autant, on ne peut pas dire que l’on s’ennuie vraiment. Mais, quand on a en mémoire les chocs que demeurent L’Imprudence et Fantaisie militaire, on se demande quand les choses sérieuses vont commencer. Il faut attendre le cinquième titre, « Vénus », premier texte de Gérard Manset qui en fournit deux autres, taillés sur mesure : « Comme un légo » et « Je tuerai la pianiste ». Nous y sommes. On se laisse enfin emporter, d’autant que les orchestrations retrouvent en subtilité ce qu’elles perdent en violons. Reste encore deux reprises en forme de petites perles pour la fin : « Suzanne », de Leonard Cohen dans l’adaptation française de Graeme Allwright, lumineuse (bien que la rythmique…). Et « Il voyage en solitaire », Manset à nouveau. Dépouillement et intensité mêlés, du meilleur Bashung. Il avait parfaitement réussi à tenir ces deux extrêmes ensemble lors de sa dernière tournée. Pour celle-ci, Mark Plati ne devrait pas être sur scène : on peut se déplacer.