Après trois essais infructueux, le cinéaste Antoine de Caunes livre enfin un film qui tient la route. En salles le 15 octobre, Coluche, l’histoire d’un mec revient sur la candidature du clown à l’élection présidentielle de 1981. Un drôle d’épisode qui dit aussi beaucoup sur le marasme de la France d’aujourd’hui.
C’est l’histoire d’un mec qui fabrique des santiags sur mesure pour ses potes, lesquels ne lui ont rien demandé mais, incapables de refuser l’offrande, se retrouvent à déambuler tels des chevaux à bascule. « On est une bande de jeunes, on se fend la gueule. » Signée Coluche, l’expression a fait florès dans la France giscardienne de la fin des années 70. Par-delà l’aspect potache, elle décrit bien la vie de ce trublion, tantôt clown, tantôt bouffon entouré d’un aréopage surréaliste : piliers d’Hara-Kiri et Charlie, musiciens, motards, anars, gauchistes, artistes, pique-assiette, etc.
Antoine de Caunes est contemporain de ce joyeux foutoir. Sans être un intime de Coluche, il le connaît « d’une manière joyeusement mondaine », explique-t-il dans le dossier de presse. « J’ai toujours aimé le mauvais esprit, le mauvais goût, le trash. » Et Coluche pouvait « balancer toutes les insanités possibles mais toujours avec un regard, un point de vue, un commentaire sur la société ». Une société réac où le comique fume cependant des pétards en toutes circonstances et rencontre des piquets de grève « Comité Monique, 2 qui la tiennent, 3 qui la niquent ».
Autant Antoine de Caunes l’homme de télévision (Les Enfants du Rock, Rapido, Nulle Part Ailleurs) était créatif et délirant, l’acteur parfois touchant (L’Homme est une femme comme les autres, Au cœur du mensonge), autant le cinéaste (Les Morsures de l’aube, Monsieur N., Désaccord parfait) était insipide et inconsistant. Son quatrième long métrage n’est certes pas un chef d’œuvre mais De Caunes trouve enfin un sujet/personnage à sa mesure, servi par la dimension socio-politique du pertinent et très documenté scénario de Diastème, et par l’impeccable et mesurée interprétation de François-Xavier Demaison dans le rôle titre. S’il a pris du poids pour entrer dans la peau de Coluche, il évite la performance Actor’s Studio. Il n’est ni un sosie, ni un imitateur.
Les circonstances de la candidature de Coluche à l’élection présidentielle de 1981, « Tous ensemble pour leur foutre au cul », sont décrites en détail : les enthousiasmes (spectacles meetings, réunions éthyliques avec Choron, Wolinski…), les dérapages (rencontre avec les représentants du petit commerce), les intimidations (le régisseur retrouvé avec deux balles dans la nuque), les coups de blues (« T’es quand même pas Robin des Bois mon pote », insiste Reiser)… Sans oublier les manœuvres politiciennes d’un Jacques Attali (Denis Podalydès) envoyé spécial de Mitterrand pour tirer la bride du bouffon dont les intentions de vote dans les sondages (autour de 20%) foutent les jetons à toute la classe politique.
Montrer Attali n’est pas fortuit quand on sait qu’il est depuis devenu un proche de Sarkozy. Trente ans après, le constat est amer sur les revirements des politiques. Sur les renoncements de la gauche aussi dans cette scène où Coluche s’adresse à Attali lors de la célébration de l’élection de François Mitterrand : « J’ai fait ce que j’ai pu, maintenant c’est à vous de jouer, faites pas les cons. » Et à l’écoute de certaines de ses déclarations de l’époque (« Remuer la merde politique ; s’amuser dans une période de tristesse ; en finir avec ce gouvernement de droite. »), on ne peut que regretter l’absence d’une telle personnalité dans le paysage morne et délétère actuel.