Le couple de musiciens africains le plus jovial de la planète remonte sur scène dans les sillons de son nouvel album, Welcome to Mali, réalisé sans Manu Chao mais avec quelques invités prestigieux (Damon Albarn, Keziah Jones, Mathieu Chédid). Bienvenue dans leurs concerts revigorants où le guitar-hero Amadou et sa bien-aimée diva Mariam rivalisent de séduction avec le public.
« Ce n’est pas bon les magouilles en politique », « Choisissez bien vos amis pour le bien et pour le pire ; choisissez bien vos copains, vos copines », « Je t’aimerai toute ma vie »… Rien de bien nouveau sous le soleil malien d’Amadou & Mariam, et c’est heureux. Les paroles glanées dans les chansons de leur nouvel album (Welcome to Mali) s’inspirent toujours des mêmes thèmes : l’amour, l‘amitié, l’entraide, l’honnêteté, la vaillance, l’hospitalité…, le mensonge, l’avidité, la corruption, l’hypocrisie, la démagogie, etc. Entre bon sens revendiqué et naïveté assumée, ces paroles sonneraient creux chez la plupart des artistes, chez Amadou & Mariam elles exhalent une réelle fraîcheur.
Sur scène, elles prennent encore une autre dimension tant est magnétique la relation du couple avec le public. Du fait de la cécité d’Amadou & Mariam certes, mais aussi grâce à leurs jeux d’amoureux, et aux élans guitaristiques d’Amadou qui n’hésite pas à partir dans des solos effrénés qui allongent les morceaux par rapport à leur version enregistrée sans pour autant les dénaturer. Déjà quatre ans depuis la précédente tournée triomphale qui suivit la sortie du disque Un dimanche à Bamako. Nous avions alors rencontré Amadou qui nous avait parlé du Mali, des aveugles, du piratage, de ses influences… (Éric Prévert)
La Griffe : Sur scène, on vous sent très proche du public. Pourtant, vous ne le voyez pas. Comment faites-vous pour percevoir sa présence ?
Amadou Bagayoko : Quand nous montons sur scène, nous demandons aux spectateurs comment ils vont en les provoquant un peu. Ils réagissent. Et à partir de ce moment-là, on sait à peu près combien de personnes il y a dans la salle. Depuis le temps que l’on tourne, on a appris à jauger à l’oreille le nombre de spectateurs qui sont devant nous.
Quelle est l’attitude de la société malienne vis-à-vis des non-voyants ?
Ici, en France, on est seuls dans notre chambre d’hôtel. On n’a personne pour nous guider. Au Mali, traditionnellement, les aveugles sont toujours très entourés. Toutefois, chez nous, il n’y a pas de travail pour les handicapés. Pour le commun des Maliens, quand on est dans notre situation, on est voué à la mendicité. Avec la création de l’Institut pour les non-voyants de Bamako où j’ai rencontré Mariam en 1975, les choses ont toutefois un peu changé. Maintenant, les aveugles commencent à aller à l’école. Ils travaillent. On les considère comme des gens à part entière. Aujourd’hui, nous faisons beaucoup de concerts au profit des non-voyants. Toutes nos premières chansons étaient centrées sur la sensibilisation aux problèmes des handicapés.
Y a-t-il une grande différence de considération vis-à-vis des aveugles entre l’Europe et l’Afrique ?
En Europe, il y a beaucoup de structures pour les handicapés visuels. En Afrique, assez peu. On manque encore beaucoup de moyens.
Qu’auriez-vous fait si vous n’aviez pas été chanteur ?
Si je n’avais pas fait de musique, j’aurais peut-être fait des études de droit pour devenir homme politique ou magistrat. J’ai toujours aimé faire des discours…
D’ailleurs, sur scène, votre passion pour les discours transparaît ?
C’est vrai qu’au Mali, beaucoup nous considèrent comme des messagers. Les vieilles personnes et les jeunes nous disent qu’il y a toujours quelque chose à retenir de nos chansons. Certains vont même jusqu’à prétendre qu’on donne de vraies leçons de vie. Il y a des morceaux qui ont bien plu au public comme « À chacun son problème ». Dernièrement, en Afrique, des gens qui avaient fait des choix de vie différents sont venus nous voir en nous disant que cette chanson avait permis de faire comprendre à leurs parents beaucoup de choses. Si on peut servir à faire avancer les choses…
Vous avez enregistré une partie de votre album à Bamako. Aujourd’hui, est-il facile pour un artiste de travailler au Mali ?
C’est de plus en plus facile. Mais ça n’a pas été toujours le cas. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons été obligé d’aller en Côte-d’Ivoire pour enregistrer nos premiers albums. D’autres artistes ont préféré se rendre au Sénégal ou en France. Mais maintenant, il y a de plus en plus de studios au Mali. Tout ça est en train de changer. La plupart des Maliens restent enregistrer au pays. Mais désormais, ce qui devient problématique, c’est la piraterie. À cause de ce phénomène beaucoup plus important en Afrique qu’en Europe, beaucoup d’artistes maliens n’arrivent pas à vivre de leur art.
Les deux principaux fabricants de disques viennent d’ailleurs de mettre la clé sous la porte. Ils invoquent la raison du piratage. Est-ce qu’en Afrique le problème est aussi inquiétant qu’on veut bien le dire ?
Oui, bien sûr. Les deux principales usines ont fermé car les autorités n’ont rien fait pour que les choses changent. C’était un moyen de protester contre le fait qu’elles n’arrivaient plus à vendre de cassettes. Sur 100 cassettes, 80 sont piratées à l’heure actuelle. C’est préoccupant. Mais personne ne fait rien pour que ça change. Faudra-t-il attendre que les artistes maliens soient tous morts pour que les politiques commencent à s’intéresser à ce problème ?
Est-ce en raison de la piraterie que vous avez décidé de vous attaquer au marché européen ?
Oui, il y a un peu de ça. On a voulu internationaliser notre musique progressivement. Une fois que nous sommes parvenus à nous faire connaître un peu partout au Mali, on a fait beaucoup de concerts en Côte-d’Ivoire. On a alors vu que notre musique prenait. C’est à partir de ce moment-là qu’on s’est dit que l’on pouvait peut-être aller en Europe et pourquoi pas ailleurs…
Etes-vous retournés en Côte-d’Ivoire depuis les derniers événements ?
Non. On n’est pas allé là-bas depuis bien longtemps. Mais on a souvent une pensée pour tous les habitants de ce très beau pays. C’est d’ailleurs pour eux qu’on a écrit la chanson « Vive la solidarité entre les peuples que l’on soit Ivoirien, Burkinabais, pour que l’on puisse se donner la main et bâtir ensemble une Afrique ».
Vos textes tournent souvent autour de l’amour… Certaines paroles sont très simples. « Je t’aime, tu m’aimes, où est le problème… » Sont-elles le reflet de l’Afrique où, semble-t-il, on se pose beaucoup moins de questions qu’en Europe sur les choses de la vie…
Nous voulons parler simplement aux gens pour que tous puissent comprendre. On évite les tournures alambiquées. On ne veut pas de complications qui pourraient nuire à la lisibilité de notre musique. C’est pour cela que l’on a choisi ce créneau. C’est sans doute ce parti pris qui permet à nos chansons d’être universelles comme certains nous le disent.
Votre guitare prend une vraie place sur scène. Ce qui n’est pas le cas sur le disque. Vous semblez avoir une très grande culture blues…
Quand j’étais jeune, j’ai beaucoup écouté John Lee Hooker et bien d’autres bluesmen américains. J’ai également baigné dans l’univers de guitaristes comme Clapton, Hendrix… La musique malienne a beaucoup de points communs avec ce blues-là. Nous, artistes africains, on exprime beaucoup de tristesse à travers nos chansons même si cela est souvent masqué, en ce qui nous concerne, par des rythmes endiablés. On conserve toutefois la base technique du blues. À savoir la métrique pentatonique.
Est-ce que, comme BB King qui comparait sa guitare à une femme, vous considérez votre instrument comme une seconde épouse ?
Quand j’apprenais la guitare dans les années 70, je dormais avec elle dans mon lit. Aujourd’hui, ça a changé, je préfère me coucher auprès de Mariam. Contrairement à avant, je ne suis pas malade si je ne peux pas jouer de musique pendant deux jours.
Ali Farka Touré a longtemps été considéré comme l’un des plus grands bluesmen africains. Vous a-t-il inspiré ?
On l’apprécie énormément. Il a commencé avant nous. On l’a vraiment découvert quand il a chanté avec la troupe régionale de Mopti. On a toujours eu besoin de ses conseils. La première fois que je suis allé à Bamako, Ali Farka Touré jouait avec l’orchestre de la radio. C’est à cette époque, dans les années 70, que j’ai fait sa connaissance. Il m’a proposé d’enregistrer mes premiers morceaux. C’est quelqu’un que j’aime beaucoup. J’aime surtout ce qu’il a pu faire avec Ry Cooder. En 2004, on lui a rendu visite dans son village. Là-bas, parallèlement à sa carrière d’artiste, il s’est lancé dans l’agriculture. On est repartis avec un sac de riz. C’était un dimanche de fête.
Qu’est-ce qui différencie un dimanche en Europe d’un dimanche à Bamako ?
Quand nous sommes venus en France la première fois, on a été très surpris. Le dimanche est une journée plutôt calme chez vous ! En Afrique, ça n’a rien à voir. Le dimanche est synonyme de fête. Très tôt le matin, les hommes se rassemblent, les femmes se font belles. C’est le jour des mariages, des baptêmes, des fêtes à la maison et des visites aux amis, à la famille. Les artistes aussi se lèvent très tôt car, pour eux, ce n’est pas de tout repos, ils jouent toute la journée. Ce sont eux les plus à plaindre. Mais pas tant que ça car s’ils jouent bien le public glisse des billets dans leurs poches. C’est une tradition qu’on devrait imposer en France [rires].