Du 8 au 11 octobre dernier s’est tenue, dans la très chic ville balnéaire de Dinard, la 20e édition du Festival du Film Britannique, qui propose des panoramas de la production cinématographique nationale à la fois patrimoniale (rétrospectives, hommages) et surtout contemporaine (films en compétition, avant-premières). Vingt ans donc que ce festival permet de se rendre compte de l’état de santé du cinéma de Sa Majesté. Conclusion : ça ne va pas très fort…
C’est entendu, la Grande-Bretagne n’est pas, et a rarement été, en tête de file de la création cinématographique. Et il s’en faudrait de peu pour faire sienne la fameuse diatribe du livre d’entretiens Hitchcock-Truffaut, où le jeune turc, avec la virulence caractéristique de son activité critique, confie ses doutes sur la compatibilité du tempérament anglais avec l’art cinématographique. En avançant cela, François Truffaut faisait du maître l’exception confirmant la règle et, dans un même mouvement, saluait au passage sa décision de s’exiler à Hollywood, où il signa effectivement ses plus grands chefs-d’œuvre. On peut penser que c’est aller un peu vite en besogne (il serait revenu sur ces propos plus tard), mais aussi qu’il y a quand même quelque chose d’irrémédiablement poussiéreux dans le cinéma britannique, qui a tout à gagner à voir ses ressortissants fuir le territoire pour voir si leur art y est... ou pas. Car s’il y a des fortunes diverses dans la tradition d’exil de cinéastes britanniques (due en grande partie à une industrie du cinéma particulièrement moribonde), celle-ci est bien réelle. C’est le cas pour l’auteur de Sueurs froides, mais également de John Boorman ou Ridley Scott, autant d’auteurs d’œuvres séminales qui marquèrent durablement le cinéma de leur époque et celui d’aujourd’hui.
On serait donc à deux doigts de penser que le meilleur du cinéma britannique se trouve dans les films américains. Ce serait oublier cependant, d’une part, un cinéaste comme Peter Watkins qui, après avoir commencé son œuvre dans son pays, travailla non seulement aux États-Unis mais aussi en Norvège, en Suède, au Danemark et en France. Et, d’autre part, que la Grande-Bretagne nous a aussi offert quelques-uns des plus horripilants cinéastes hollywoodiens dont l’imposteur Danny Boyle (Slumdog Millionnaire), ou le poussif Paul Greengrass (La Mort dans la peau, Vol 93). Deux auteurs découverts d’ailleurs au festival de Dinard, où ils remportèrent tous deux, avec respectivement Petits meurtres entre amis et Bloody Sunday, le grand prix du festival (singulièrement appelé le Hitchcock d’Or, chose très amusante quand on lit le passage du livre précité).
Vous l’aurez compris, l’auteur de ces lignes n’a pas un amour démesuré pour le cinéma britannique. La décision de me rendre au festival de Dinard ne fut donc pas sans appréhension, mais j’avais la motivation bien réelle de mettre mes préjugés à l’épreuve d’une bonne partie des cinquante films proposés sans mauvaise foi aucune (si si, je vous assure !). Et avant de commencer ce compte-rendu à proprement parler, je tiens à signaler que, ma patience ayant des limites, je n’ai pas pu franchir la barrière du douzième film visionné, l’ennui profond ressenti ayant eu raison de mes meilleures intentions (c’est qu’il faut se coltiner l’ambiance de Dinard également).
Le jury, présidé cette année par Jean-Paul Rappeneau, a décerné le Hitchcock d’Or à White Lightnin’ de Dominic Murphy, un film inspiré de la vie du « hors-la-loi dansant » des montagnes Appalaches, Jesco White. Une vie avec lequel le réalisateur prend beaucoup de libertés afin d’offrir un portrait d’une certaine Amérique obsédée par Jésus. Un Jésus vengeur dominant un monde régi par la superstition, le puritanisme, la culpabilité et la contrition autodestructrice. Filmé à la première personne, White Lightnin’ adopte une mise en scène hallucinée au diapason de la psyché troublée de son personnage principal. Réellement impressionnant techniquement de par son montage, sa photographie et sa bande son, tous très efficaces (le réalisateur vient de la pub et du clip), il ne convainc pourtant pas totalement. White Lightin’ ne parvient pas à être autre chose qu’une simple provocation à base d’ultra-violence, de sacrilège, et d’outrages aux bonnes mœurs. Reste que le film est une petite bombe de cinéma épate-bourgeois, une forme particulièrement adaptée à Dinard où l’expression prend tout son sens : dans la salle comme sur l’écran, c’était l’hémorragie. Il y a fort à parier que ce film offrira à son réalisateur un passeport direct pour Hollywood, qui n’aime rien tant que les petits génies de la technique qu’elle va d’ailleurs souvent chercher en Grande-Bretagne.
Rappelons à ce titre que l’introduction des formes du clip et de la publicité dans le cinéma hollywoodien durant les années 1980 est due en grande partie à une génération de cinéastes anglais : Ridley et Tony Scott, Adrian Lyne et Alan Parker. Il est important de le souligner car le cinéma britannique est plutôt réputé dans nos contrées pour son penchant naturaliste, plus « cru » que « cuit », pour reprendre la ligne de partage du rapport du cinéma au réel telle que posée par Serge Daney. La faute à Ken Loach, véritable vitrine nationale (peu vue chez lui), mais aussi et surtout au cortège de comédies sociales dont le cinéma britannique nous abreuve régulièrement. Car si Loach peut apparaître aujourd’hui comme un cinéaste assez faiblard n’hésitant jamais à tirer sur des ficelles dramatiques par trop faciles, il ne peut ressortir que grandi de la comparaison avec ces films s’en inspirant souvent. De Full Monty à Billy Elliott en passant par My Name is Hallam Foe (primé à Dinard en 2007), tous ces films dégoulinent tant de commisération mielleuse sous leur alibi artistique fallacieux de témoignages sociaux que la moindre comédie familiale Disney passerait presque pour un modèle de justesse sentimentale.
C’est donc un peu à ce genre de film que je m’attendais durant ce festival, or je fus surpris de n’en découvrir qu’un seul : Jean-Charles de Henrique Goldman, récompensé par le jury pour son scénario. Le film correspond à peu près à l’idée que l’on peut se faire d’un film britannique, du moins à ceux qui font le bonheur des pages ciné de Télérama et du public exclusif des salles Art et Essai : un grand sujet de société (ici, l’immigration, le terrorisme et la paranoïa xénophobe qui en découle), et une galerie de personnages pris dans les rets de situations induites par les différentes injustices qui en découlent. On connaît la formule imparable de ce type de film : une identification très forte avec un personnage central très sympathique malgré quelques impairs (dont il tirera les leçons sous le regard approbateur du spectateur), la truculence de la galerie de protagonistes qui l’entourent et, enfin, une fin assez tragique mais pas que, afin de ne pas trop déprimer l’audience et de l’exhorter gentiment à se mobiliser contre les injustices du monde. Ce n’est ni pire, ni meilleur que beaucoup d’autres films sociaux anglais. C’est juste médiocre, comme d’habitude…
Sur un sujet voisin, préférons She, a chinese de Xiaolu Guo, qui a déjà l’honnêteté intellectuelle de préserver l’opacité de son personnage qu’elle ne cherche pas, à tout prix, à rendre sympathique. Tour à tour irascible, impulsive, molle, sentimentale et apathique, Li Mei, l’héroïne que l’on suit de son village natal en Chine jusqu’à son exil à Londres en passant par son installation à Shenzhen, est filmée avec une grande justesse sans avoir recours à de lourdes ficelles dramaturgiques. Certes, le film est inégal, mais de tous ceux en compétition, c’est bien celui où l’on a le plus l’impression de voir du cinéma en action. Sa réalisatrice y tente de mêler une approche documentaire stricte à une construction plus pop (la musique est signée John Parish). Parfois artificiel dans cette voie, le film emporte cependant plusieurs fois la mise et on pense parfois au Hou Hsiao-Hsien de Millenium Mambo et Three Times.
Parmi les bonnes surprises il y eut également Crying with Laughter, sympathique film réalisé par Justin Molotnikov qui, s’il a parfois la main un peu lourde dans le déroulement de ses péripéties, convainc grâce à son personnage principal très bien écrit et interprété (as usual dans le cinéma anglais). Construit autour d’un personnage de comique écossais de stand-up pris dans une sombre histoire de pédophilie, le film est structuré en flashback, entre le récit proprement dit et la transposition que l’anti-héros en fait sur scène. Quelque chose d’indécis et assez beau se joue dans le hiatus qui en découle, ce qui nous fait d’autant plus regretter sa fin lourdement psychanalytique.
Du coté des horreurs, on aura eu droit à In the Loop (sortie le 11 novembre) une ineptie qui cache la totale vacuité de son propos derrière une mise en scène boostée aux effets de réel tous plus artificiels les uns que les autres. Non content d’avoir mis sa caméra sur vibreur, probablement pour singer son compatriote Paul Greengrass apôtre du tournage embedded, Armando Iannucci établit un nouveau standard de nombres de plans auquel Michael Bay devra se mesurer pour son Transformers 3. Ce dernier n’a qu’à bien se tenir, il a trouvé plus fort que lui dans la concision des plans. Il faut en effet attendre la toute fin du film pour qu’Armando Iannucci en fasse durer un plus de cinq secondes, sans compter qu’en leur sein même des recadrages au zoom viennent insuffler régulièrement un peu d’adrénaline supplémentaire à un film déjà complètement hystérique. Il faut définitivement faire un sort à ce nouvel académisme du réalisme au cinéma qui consiste à croire qu’en montant cut et caméra à l’épaule, on est au plus près du réel. Quand on filme une réunion dans un bureau de la même façon qu’une embuscade dans le désert, c’est ridicule, point.
Cette nullité n’est pourtant rien à coté de Sounds Like Teen Spirit, un « popumentary » dixit son réalisateur Jamie Jay Johnson. Son sujet : l’Eurovision Junior. Alors qu’on s’attendait à un reportage d’investigation sur les rouages de cette grand-messe, le réalisateur préfère suivre quelques jeunes finalistes du concours -— de leur sélection à la finale — en alternant répétitions, scènes de vie de tous les jours et témoignages face caméra… Ça vous rappelle quelque chose ? C’est la structure de tous les « sujets » dont sont parsemés les émissions type Star Academy ou Nouvelle Star. On ne sait pas ce qui est le plus navrant dans ce film : l’inanité de son propos, son absence de recul critique, sa complaisance, ou le simple fait de le découvrir en compétition d’un festival dévolu à une cinématographie nationale. D’autant qu’il n’y a que six films en compétition. Qu’ont-ils écarté pour conserver celui-là ?
Sa présence en sélection est si déconcertante que l’on se demande jusqu’au bout s’il ne s’agit pas là d’un « documenteur » particulièrement pervers poussant le pastiche jusqu’au bout… Une référence à Spinal Tap, glissée par un des personnages, induirait cette lecture, mais les rares touches d’ironie qui adviennent ne sont là que pour attirer la sympathie du spectateur sophistiqué adepte de second degré (la télé-réalité fait la même chose). Le film reste par ailleurs d’un sérieux implacable devant le spectacle de singes savants que constitue l’Eurovision Junior. Où est l’expression de la jeunesse dans ces numéros qui ne font que parodier sur un mode enfantin ceux des adultes, et pas des meilleurs ?
Mais là où on touche le fond du fond, et il faut le voir pour le croire, c’est lors du final : sur des images d’archives et de fiction représentant le passé trouble de L’Europe (fascisme, nazisme, guerres de religion, guerres civiles), une voix-off déclame tout en émotion retenue que, depuis la création de cette manifestation de la fraternité européenne qu’est l’Eurovision Junior, aucun conflit n’est survenu entre pays européens ! Sounds Like Teen Spirit a remporté le prix du public. Atterrant.
Ce n’est pas dans la compétition que l’on aura fait de réelle découverte, mais coté avant-premières avec Moon (sortie en avril 2010), une étrange science-fiction assez intemporelle réalisée par Duncan Jones (le fils de David Bowie, pour l’anecdote). Le film raconte le quotidien solitaire d’un ouvrier (formidable Sam Rockwell) chargé de coordonner l’extraction de minerai sur la Lune. Sa routine est bousculée par l’apparition de son double alors que sa mission de trois ans touchait à sa fin. Très belle réflexion sur le « programmé » dans l’humain et l’humain dans le « programmé » (à travers un beau et original personnage de robot), l’écriture ménage une inquiétante étrangeté qui intrigue durablement. Certes le film, comme souvent avec toutes les histoires d’inspiration « dickienne », peine à transcender son argument fascinant pour se déployer sur un territoire plus métaphysique. Pourtant, grâce à sa tenue formelle époustouflante et cependant très discrète, Moon est une réussite dans le genre assez déserté de la science-fiction minimaliste. Après le boursouflé District 9, ça fait vraiment du bien.
On pourrait épiloguer longtemps sur l’aspect grotesque de ce festival qui, au diapason de la ville où il a lieu, semble courir désespérément après un prestige de façade. On a beau déployer un tapis rouge devant le Palais des Arts et border celui-ci de palmiers (un arbre originaire de Bretagne comme chacun sait) pour tenter de toucher du doigt le prestige de modèles inavoués (Deauville, Cannes), c’est oublier que là-bas l’enrobage pompier et le déballage indécent de richesses de l’ensemble ne masquent pas un contenu dérisoire, mais se veut un écrin à des sélections de films d’une exigence cinématographique rarement prise en défaut. Ce n’est pas le tapis qui fait le festival.