Avec la republication de sept romans et récits en un beau volume, la sortie d’un documentaire sur sa vie et une série de manifestations à Saint-Brieuc, le trentenaire de la disparition de Louis Guilloux est l’occasion de réaffirmer l’importance de ce grand écrivain souvent oublié des bibliographies.
Jouons un peu : nous cherchons un écrivain français majeur du vingtième siècle, dont l’ouvrage le plus (re)connu, qui a paru dans les années 1930 et manqué de peu le prix Goncourt, demeure aujourd’hui encore marquant par sa noirceur et son style puissant, renouvelant l’usage de la langue parlée dans la littérature. Ce genre d’énoncé appelle invariablement la même réponse : Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit (1932). Mais comme un écrivain ne se résume jamais à un seul livre, les lettres françaises de l’entre-deux-guerres ne se résument pas à un seul écrivain, aussi grand fût-il. À la description donnée plus haut, ils sont en effet deux à pouvoir correspondre. L’autre — et non le second —, se nomme Louis Guilloux, et le grand œuvre auquel on le réduit souvent, quand on n’oublie pas tout simplement l’existence de son auteur, est intitulé Le Sang noir. C’est le sixième roman de ce fils de cordonnier et militant socialiste né à Saint-Brieuc en 1899 et mort dans la même ville en 1980. On y parle de la Grande Guerre, et l’on y croise une impressionnante galerie d’hypocrites et d’arrivistes, de provinciaux engoncés dans une médiocrité dont ils font leur fierté sans s’apercevoir qu’elle ne peut mener qu’à l’irréparable. La comparaison avec Céline s’arrête cependant là : pas de long voyage dans Le Sang noir, à l’action concentrée en une journée, dans une ville jamais nommée mais en laquelle il est facile de reconnaître le chef-lieu des Côtes-du-Nord. Et pas de parallèle possible entre les auteurs : Céline est un immense écrivain, mais il s’en fallut de beaucoup qu’il fût un grand homme, quand Guilloux resta toute sa vie fidèle à ses engagements socialistes, notamment auprès du Secours rouge avec qui il tenta d’améliorer le sort des réfugiés espagnols à Saint-Brieuc, puis en mettant sa maison du quartier Saint-Michel au service de rencontres entre résistants.
Mal connu, Louis Guilloux bénéficie heureusement en cet hiver d’une maladie médiatique incurable aux effets trop souvent dévastateurs : la commémorationnite à la française. 2010 marque en effet les trente ans de sa disparition, un peu plus de dix ans après le centenaire de sa naissance, qui avait donné lieu, en 1999, aux dernières manifestations grand public en son honneur. Avec un peu d’avance, Gallimard a eu la bonne idée de lui consacrer un volume de sa collection « Quarto », paru en septembre dernier. D’une guerre l’autre regroupe La Maison du peuple, Compagnons, Le Sang noir, OK, Joe !, L’Herbe d’oubli, Labyrinthe et Douze balles montées en breloque. Plus de mille pages qui sont donc bien plus qu’une introduction à son œuvre : une salutaire renaissance, dans un format pratique, à un prix raisonnable et surtout avec un appareil critique à la hauteur. Le volume et chacun des romans et récits sont présentés par Philippe Roger, à quoi s’ajoute une riche biographie de Jean-Louis Panné ainsi que les préfaces de deux amis de Guilloux : Malraux pour Le Sang noir, Camus pour La Maison du peuple.
Pour la fin de l’année dernière est également sorti un film, Louis Guilloux l’insoumis, réalisé par les Briochins Rolland Savidan et Florence Mahé. Il est ici moins question de l’œuvre de Guilloux que de sa vie et de son rapport à Saint-Brieuc. Malgré quelques passages à vide (on voit trop souvent le bureau de l’écrivain quand les images manquent pour illustrer le commentaire), le montage d’archives issues des collection de la Cinémathèque de Bretagne, de vues actuelles et d’entretiens réalisés pour le film (amis d’enfance, personnalités locales et nationales comme Yvon Le Men, Christian Bougeard, Jean Daniel, Mona Ozouf, Marcel Maréchal) fonctionne plutôt bien.
Enfin, les bibliothèques de Saint-Brieuc, en collaboration avec la Société des amis de Louis Guilloux, organisent une série d’événements jusqu’au 27 février. Rencontres, lectures, projection du film et visites de la ville ponctueront ce moment articulé autour de deux expositions, dont « Louis Guilloux et ses proches », que les Rennais ont pu voir récemment aux Champs libres. Transportée à Saint-Brieuc, elle perd quelques panneaux mais conserve sa double vocation. La première est de proposer un parcours synthétique dans la vie et l’œuvre de l’écrivain, avec une attention particulière au Sang noir. La seconde est la plus originale : il s’agit de montrer comment Guilloux s’est inspiré de ses proches pour nourrir ses romans. Mais si les notes et manuscrits de l’auteur ne sont pas inintéressants, ils constituent le matériau essentiel de l’exposition qui en devient vite lassante. Du coup, alors que la première impression laissait craindre un montage de trop petite taille, on se prend, à la sortie, à se féliciter qu’il ne soit pas plus grand, c’est-à-dire pas plus ennuyeux.