Curieuse semaine pour le réalisateur rennais Fred Cavayé. Alors que, mercredi prochain, le remake américain de Pour elle, son premier film, sera sur les écrans (Les Trois prochains jours de Paul Haggis, avec Russel Crowe), sort aujourd’hui son deuxième long métrage (À bout portant) qui pourrait aussi apparaître comme un remake.
Un professeur (Vincent Lindon), père d’un petit garçon, entre dans l’illégalité pour libérer sa femme (Diane Kruger) injustement condamnée pour meurtre. Le temps est compté (trois jours), il doit faire vite. Ainsi peut se résumer Pour elle.
Un infirmier (Gilles Lellouche) est contraint de kidnapper un gangster hospitalisé (Roschdy Zem) s’il veut retrouver sa femme (enceinte). Le temps est compté (trois heures), il doit faire très vite. Voilà pour À bout portant.
Sur l’affiche des Trois prochains jours, remake américain de Pour Elle, le spectateur est averti que le héros « n’a que 72 heures pour sauver celle qu’il aime ». Les américains ont besoin de 2h13 pour résoudre l’affaire quand Fred Cavayé avait bouclé les mésaventures de ces «messieurs tout-le-monde» en 1h30.
Dans chacun des cas, « des personnages ordinaires sont confrontés à des situations extraordinaires ». L’innocent accusé à tort, l’inéluctabilité face à l’adversité sont des thèmes rebattus du polar. Fred Cavayé ne renouvelle pas le genre, mais il lui insuffle un rythme peu courant dans le cinéma français récent, combinant courses-poursuites effrénées et sécheresse de réalisation.
Pour elle démarrait par un flash-back à bord d’une voiture avec essoufflements, râles, soupirs en hors-champ et main ensanglantée en gros plan. À bout portant s’ouvre sur une séquence percutante et haletante qui cloue au fauteuil. Le spectateur est immédiatement embarqué dans une histoire où, comme le personnage principal, il ne comprend rien. Les fils se tissent peu à peu, parfois la pelote s’emmêle, l’invraisemblance guette (retrouvailles de Lellouche et de sa femme dans les toilettes du commissariat), puis une nouvelle péripétie intervient qui empêche de décrocher. Cependant, Fred Cavayé et son co-scénariste Guillaume Lemans sont moins à l’aise quand il faut dénouer les nœuds de l’intrigue (séquence explicative maladroite dans la planque) que lorsqu’il s’agit d’enchaîner les scènes d’action.
La mise en scène est sans fioritures. Cavayé filme vite sans donner le tournis. Il sait ménager des effets sans verser dans l’ostentation (parallèle entre les battements de cœur de l’échographie et l’électrocardiogramme du gangster). Alors que dans Pour elle, les flics étaient en retrait, ils sont au centre de l’histoire dans À bout portant. Avec une guerre des polices (ripoux contre légalistes) typique du cinéma policier des années 70/80. Cavayé s’amuse des références et des contre-pieds. Le personnage impassible et taciturne interprété par Roschdy Zem s’appelle Sartet comme Alain Delon dans Le Clan des Siciliens. Familière du cinéma d’auteur, Mireille Perrier joue un commandant de police inflexible, farouchement opposée aux turpitudes du sinistre Gérard Lanvin.
Très influencé par le cinéma américain, Fred Cavayé a su trier le bon grain de l’ivraie. Il n’étire pas inutilement les scènes, et ne les pollue pas avec une bande-son tonitruante et assourdissante. Sans brandir de pancartes, il glisse de manière détournée mais significative quelques évidences sur les aberrations du système policier et judiciaire actuel. En une séquence imparable (dans le parking souterrain), Pour elle démontrait avec quelle fatalité un individu pouvait être emporté dans une erreur judiciaire. À bout portant pointe la différence de traitement entre les citoyens : le ripou meurtrier n’est condamné qu’à seize ans de prison et il sort au bout de sept pour bonne conduite…