Entre la dinde aux marrons et la cuite de la Saint-Sylvestre, il reste une place pour les nourritures spirituelles. Réveillons-nous !, la programmation d’hiver des Tombées de la nuit, propose à Rennes plusieurs spectacles, dont la toute récente création musicalo-clownesque de la compagnie Vis Comica, un cabaret qui n’a pas peur de faire rire.
« Interdit de rire ». Sans blague. C’est comme ça que commence Le Fla-Fla-Fla, nouvelle création de la compagnie Vis Comica : par la lecture des règles du spectacle. Elles sont nombreuses, précises, insidieuses et intrusives. Mais c’est le spectacle qui prime, non les règles, et elles ne seront pas respectées — ni par les comédiens, ni par le public. On rira donc, et de bon cœur, car on est au cabaret, où la gravité de la vie s’oublie en levant la jambe, et le coude (il y a à boire et à manger). Pour autant, Le Fla-Fla-Fla n’est pas qu’un spectacle comique. Même si l’humour en est l’ingrédient principal, il y a aussi des moments où l’on chante, où l’on fait de la magie (enfin presque), de l’acrobatie, où l’on lance des couteaux, où l’on a peur… Le cabaret est, au choix, un miroir déformant ou une loupe grossissant les détails et les travers du monde que l’on croit avoir laissé à la porte. Les préoccupations du jour, et du siècle, y ont leur place, traitées avec l’esprit du clown : derrière le rire, l’angoisse.
Quand, en 1998, après une dizaine d’années passées à bourlinguer à travers le monde avec cirques (dont Archaos) et cabarets, la clown et acrobate Nathalie Tarlet est revenue poser ses valises en Côtes-d’Armor pour y créer sa compagnie, la première création de Vis Comica fut un cabaret, le Cabaret Tournicote. Douze ans plus tard, Le Fla-Fla-Fla est une nouvelle incursion dans cette forme particulière de spectacle, qui mêle les arts de la scène et de la piste. Nathalie Tarlet y fait ainsi jouer, outre elle-même, les comédiens André Layus et Ali Khalil, et les musiciens Philippe Onfray (Casse-Pipe, XmasX), Daniel Pabœuf (Il Monstro, Dominique A, Trunks…) et David Euverte (XmasX, Dominique A, Ripley…). Habitués des scènes de Bretagne et d’ailleurs, les trois derniers ne sont pas là pour que pour fournir un accompagnement musical live au spectacle. Chacun a développé sa part de clown et l’on ne saurait trop conseiller aux Rennais qui ne les connaissent que sous l’angle musical d’aller découvrir cette nouvelle facette — et pas seulement pour voir Daniel Pabœuf dans un numéro de strip-tease mémorable.
À Langueux (22) début décembre, la troupe n’en était qu’à la quatrième représentation : il demeurait quelques flottements qui devraient se régler rapidement. Mais le rythme est élevé, et la scénographie bien pensée. Au milieu d’une salle où les spectateurs sont installés autour de petites tables, trône une scène circulaire. Dans chaque coin et sur les côtés de la salle sont installés d’autres espaces, équipés d’un simple rideau ou d’un décor plus élaboré, et dans lesquels les comédiens passent, s’installent, évoluent dans un constant mouvement. La succession des numéros n’est pas liée à une cohérence narrative particulière. C’est le propre du cabaret, et du clown, que de savoir introduire des ruptures et des retournements sans qu’il soit nécessaire de raconter une histoire. Néanmoins, on peut regretter que le thème de la peur, développé de façon pertinente pendant la première partie (l’intervention du ministre du Bonheur, l’écoute des nouvelles à la radio, le blues en borborygmes) disparaisse de la seconde. Il y avait là un fil qui, tendu du début à la fin du spectacle, aurait pu lui donner une dimension supplémentaire.