Animateurs d’une fanfare déglinguée dont les concerts sont un régal autant visuel que sonore, les vénérables et enthousiasmants hollandais De Kift fêtent leurs vingt ans. La tournée s’arrête à Brest, dans le cadre du Festival invisible.
Depuis vingt ans, De Kift construit une œuvre qui a quelque chose de cette étagère branlante, découverte un jour dans une maison de location grisâtre, sur les bords d’une mer glauque. On ne sait trop comment elle tenait encore au mur, ce mur recouvert d’une tapisserie au motif floral délavé, et on n’est toujours pas revenu de la quantité incroyable de petits objets en porcelaine et en plastique muticolore que ses rayons pouvaient contenir. Pourtant, on avait passé d’excellentes vacances, dans cette foutue baraque.De Kift, c’est un peu comme ces vacances-là : c’est rugueux comme la grève de galets sur laquelle on a laissé la peau de ses genoux, ça swingue comme une tribu de fers à repasser perdus au milieu du bal des débutantes, c’est suranné comme un kiosque à musique sur une plage qui n’est plus visitée que par le vent. Mais De Kift, en perpétuel équilibre instable sur la corde raide du kitsch, parvient à ne jamais sombrer dans le gouffre du ridicule. Il y a chez ces Hollandais une féroce joie de jouer, un sens très sûr de la mélodie et des arrangements de cuivres, ainsi qu’un art des rythmiques déglinguées qui font de leur musique un régal sonore. Le tout, mis au service de textes empruntés à des poètes ou des écrivains tels que Rabelais, Gogol, Wolfgang Borchert ou Lord Byron, fournit la matière à des déclamations et à des chœurs entraînants, sortes de rejetons illégitimes des rêveries de Fellini et des carambolages de Tom Waits qui auraient grandi dans les remous de la scène punk néerlandaise, d’où le groupe tire ses racines.
En concert, les membres de cette fanfare désarticulée imposent une présence envoûtante, et sont capables tout aussi bien de remuer leur public avec la dernière énergie que de lui faire apprendre les pas de danse d’un improbable folklore imaginaire. Ce n’est cependant pas une raison pour bouder leurs disques. Comme leurs concerts, ceux-ci sont en effet « mis en scène » avec grand soin. Sous la forme d’un livre (Gaaphonger), d’une boîte de cigares (Krankenhaus) ou d’un cadre de photo (Vlaskoorts), les albums de De Kift sont des objets aussi beaux et originaux à regarder qu’à écouter. Une attention qui témoigne d’une démarche artistique globale et sans concession, choses bien étrangères aux majors qui cherchent à vendre toujours plus de soupe dans des emballages toujours plus interchangeables.
À Brest (Chapiteau sur le port de commerce) le 20 mars 2009.
Dernier album : « Hoofdkaas »
À retrouver dans la série : Festival Invisible 2009
- Magma, c’est pas la musique à pagpa (19 mars 2009)
- Brest, terrain d’aventures (19 mars 2009)
- Au nord, il n’y avait pas que les corons… (19 mars 2009)