Vingt ans après la sortie de son premier album, le chanteur et guitariste le reprend en intégralité sur scène, et se paye le luxe de ne proposer, en deuxième partie, que des nouvelles chansons. Son nouveau disque, en fait, qu’il enregistre en live. Sans se la raconter, mais avec un talent une fois de plus désarmant, ainsi que l’a montré le premier concert de sa tournée, le 20 janvier à l’Archipel de Fouesnant.
Qu’est-ce donc qu’un concert ? Un mélange plus ou moins réussi d’anciennes chansons, destinées à rassurer ceux qui n’écoutent que la radio, et de titres plus récents destinés à prouver que l’on en a toujours sous la semelle et que, malgré le temps qui passe, l’on reste un artiste du présent. Le dosage de la tambouille varie selon les époques : en début de carrière, on n’a évidemment que du neuf à proposer. La nécessité de convaincre, additionnée de la morgue nécessaire pour masquer le manque d’assurance, doivent suffire. Vers la fin, la tentation est grande de se reposer uniquement sur les anciens titres. Les sorties d’albums ne servent alors plus que de prétexte à maintenir l’attention des médias, afin d’assurer, une fois de plus, le succès de la tournée de trop. Partant de ce constat certes quelque peu simpliste (mais si les journalistes ne sont plus là pour caricaturer, à quoi serviront-ils ?), le concert idéal serait celui d’un artiste arrivé au milieu du gué. Moitié d’anciens tubes, moitié de chansons récentes, plus un ou deux inédits pour pimenter la soirée : tel est le programme de maints chanteurs et groupes plus tout jeunes, mais qui n’ont pas pour autant asséché le puits créatif.
Dominique A, quarante(-trois) ans et vingt ans de musique, a fait un pari plus risqué pour fêter ce double anniversaire. Plus radical, aussi, avec un concert en deux parties. On commence par une reprise intégrale de son premier album, La Fossette, sorti en 1992. C’est le disque qui contient l’intemporel « Courage des oiseaux », ce petit bijou de concision poétique qui est devenu l’hymne de tous les fans du chanteur. Mais ce n’est pas l’album qui l’a fait accéder au grand public, celui-là étant La Mémoire Neuve (1995). Entre « Le Twenty-Two Bar », premier succès radiophonique, et « Le Courage des oiseaux », première d’une longue série de chansons marquantes, il n’y avait cependant pas à hésiter. D’abord parce qu’il s’agit, bien sûr, de fêter les vingt ans de La Fossette. Mais aussi parce que cette manière de faire une grande chanson à partir de rien est peut-être ce qui résume le mieux le chanteur. Une image saisissante, une atmosphère qui l’enveloppe comme un écrin, une mélodie imparable : ça ne vieillira pas. Vingt ans plus, l’album bricolé tout seul dans une chambre avec synthés et boîte à rythmes se revisite en trio, avec Nicolas Méheust (piano, accordéon) et Thomas Poli (guitares, claviers). Quarante minutes d’un voyage dans le temps fascinant, où la redécouverte fonctionne à plein, malgré quelques passages un peu plats. Pause.
Retour sur scène dans une formation inédite chez Dominique A, habitué à se renouveler et à prendre son public par surprise — souvenez-vous du choc à la sortie du très noir Remué (1999), qui suivait le léger La Mémoire neuve, ou du double album en solo La Musique/La Matière (2009), publié après L’Horizon (2006) et sa tournée très rock. Cette fois, ils sont dix musiciens dont un quintet à cordes, qui nous embarquent pour une heure vingt de nouvelles chansons. Toutes nouvelles, oui. Son nouvel album, Vers les lueurs, à paraître en mars, Dominique A l’enregistre en public. Sous nos yeux et dans nos oreilles. Ce vendredi 20 janvier à Fouesnant, c’est la première date de la tournée, et c’est diablement en place. Le son est excellent et, comme d’habitude, les paroles parfaitement compréhensibles. Le jeu de lumière est à l’avenant de ces titres tournés vers les lueurs : riche et inventif. Passé l’ouverture, un instrumental qui laisse craindre un instant un excès de pompe dans les arrangements, on grimpe très haut pour ne plus redescendre qu’au moment où la salle sera rallumée.
Une partie des musiciens de cette deuxième partie étaient déjà présents sur la précédente tournée : Thomas Poli aux guitares, parfait complice de Dominique A dans les moments de calme comme de fureur ; et Sébastien Buffet à la batterie, assurant une assise rythmique discrète et efficace, plus convaincante qu’il y deux ans, lorsqu’il s’évertuait à reproduire les boîtes à rythmes de La Musique de façon un peu trop linéaire. Fidèle depuis la tournée de L’Horizon, David Euverte abandonne les claviers pour le seul piano et, ce n’est pas rien, l’arrangement des cuivres. Jeffrey Hallam fait une entrée remarquée à la basse, donnant à cet instrument une présence qu’il n’avait encore jamais eue chez Dominique A. Voilà pour le groupe qui occupe le devant de la scène. À l’arrière, surplombant les débats, Daniel Pabœuf (saxophones), Michel Aumont (clarinette basse), Sylvaine Hélary (flûte), Cédric Chatelain (cor anglais, hautbois et flûte) et Sophie Bernardo (basson) donnent une dimension inédite à la musique de Dominique A. Au fil de ses vingt ans de scène, on aura donc pu le croiser seul avec des machines, avec un groupe de rock plus classique ou additionné d’une petite dose de cuivres (Daniel Pabœuf, déjà, sur la tournée L’Horizon et l’excellent album live Sur nos forces motrices), et aujourd’hui en grande formation. La magie opère à nouveau : parce que les chansons sont bonnes. Tout simplement, serait-on tenté de dire, si cela était simple.