Cédric Martigny et Patrice Normand, du collectif Temps Machine, revisitent le mythe de la route nationale 7 dans un road-movie photographique. L’exposition du Carré d’Art à Chartres de Bretagne est le point de départ d’un voyage nostalgique sur l’ancienne route des vacances.
Ici la peinture s’écaille, ailleurs les murs se fendent et l’escalier est rouillé… Les photographies de Cédric Martigny et Patrice Normand ouvrent une fenêtre sur un théâtre où le décor semble avoir été laissé là, tandis que les comédiens ont depuis longtemps quitté la scène. Le spectacle est terminé, le grand ballet des voyageurs a cessé, sur la vitrine le rideau de fer est tombé, au restaurant les tables sont vides. Dans ces vues de villes fantômes où la figure humaine n’est souvent qu’une ombre sans visage, le temps s’est arrêté, figé dans un papier peint à fleurs et un téléviseur noir et blanc.
Les deux photographes du collectif Temps Machine ont repris la route des vacances, la Nationale 7 que chantait Charles Trenet en 1955, celle qui conduisait depuis Paris « vers les rivages du midi », un mythe perdu qu’ils célèbrent ici à l’écart des autoroutes, comme « un faire-part de décès photographique », note Cédric Martigny. Ainsi, le concept du road-movie en plan fixe, qui défile lentement dans la succession des tirages de moyen format, colle-t-il brillamment à ce projet documentaire. Il s’agissait de refaire le voyage une fois l’histoire terminée, de revenir sur les lieux pour mener l’enquête, et rapporter ces vues frontales, descriptives, sous plusieurs angles, à différents endroits, comme des relevés stratigraphiques, les preuves scientifiques d’une vie passée.
Mais le mythe de la nationale rattrape bientôt la règle de l’objectivité pour ces deux photographes de presse qui réalisent ici un projet artistique. Même si le principe du collectif englobe les signatures, ne permettant pas d’identifier les auteurs, l’on pourra se pencher sur les qualités plastiques de ces photographies où les pauses lentes révèlent de belles atmosphères colorées, ou encore de captivantes visions nocturnes. Ainsi, la Nationale 7 fait-elle de brillantes excursions dans l’histoire de l’art. Ici le restaurant routier offre l’occasion d’une nature morte à la toile cirée et à la mayonnaise, là une baignoire immergée dans un lac entouré de verdure permet de revisiter le thème du paysage dans une anti-carte postale.
Mais c’est surtout la fiction qui s’immisce et s’enroule dans ces photographies qu’accompagne très justement le texte poétique de Brigitte Sondag, bribes d’un roman épistolaire où la route est personnifiée en un être insaisissable qui bientôt disparaît. Cette disparition marque chacune de ces photographies où l’expression du deuil semble retenue, dans un corps recroquevillé sous un arrêt de bus ou dans les larmes de pierre d’une statue de pleureuse. Mais dans l’absence la vie reprend doucement son cours, dans la rue, derrière les fenêtres éclairées ou sur le terrain de foot, quand un banal entraînement nocturne prend soudain un tour héroïque…
Ce projet qui a valu à Cédric Martigny et Patrice Normand le prix de la Quinzaine Photographique Nantaise en 2007 n’attend plus qu’à se concrétiser dans un livre, forme de prédilection du collectif Temps Machine. Mais il lui faudra trouver un nouvel éditeur : depuis l’arrêt des Éditions Électriques, la Nationale 7 attend son tour pour passer sous la presse. À bon entendeur !