Pour son seizième long-métrage, Villa Amalia, Benoît Jacquot adapte un roman éponyme de Pascal Quignard et retrouve Isabelle Huppert. Le réalisateur et la comédienne étaient à Rennes le 10 mars dernier pour présenter en avant-première au cinéma Gaumont ce film dense et lumineux qui sort le 8 avril.
Devant la grille d’une maison de Choisy-le-Roi en banlieue parisienne. Ann Hidden (Isabelle Huppert), 47 ans, observe dans la pénombre un couple qui s’embrasse sur le perron. Il s’agit de Thomas, son mari (Xavier Beauvois), et de sa maîtresse. Cet évènement va bouleverser le cours de l’existence austère de l’épouse bourgeoise modèle. Meurtrie dans sa chair, avec la complicité de Georges, son ami d’enfance (Jean-Hugues Anglade), elle décide de disparaître, d’effacer les traces de son mariage, de sa profession de pianiste, de sa vie parisienne avec une seule idée en tête : voyager pour s’isoler, loin des hommes. Un nouveau départ pour redevenir elle-même et comprendre l’origine d’une douleur enfouie. Au bout de sa quête, elle va trouver Villa Amalia, une cabane sur une île qui embrasse la Méditerranée, face à la baie de Naples...
« En lisant le roman de Pascal Quignard, j’avais le sentiment de pouvoir réaliser deux films, sinon trois. Il m’a encouragé à sortir ma hache et à trancher », déclare Benoît Jacquot. Après L’École de la chair, Adolphe, À tout de suite..., le cinéaste ne déroge pas à ses habitudes : filmer les affres de l’amour à travers un personnage féminin qui occupe presque tous les plans. Dans la peau de Ann, épouse sans enfant installée dans un quotidien solitaire, on retrouve Isabelle Huppert pour leur cinquième collaboration. « Je voulais refaire un film avec Isabelle - désir qu’elle partageait. Le livre est arrivé au moment où on prévoyait de se donner rendez-vous. Nous nous frayons une sorte de chemin commun. » Mais Benoît Jacquot refuse le terme de muse, connotation « romantico-désuète. Je ne suis pas un poète mais un cinéaste, et Isabelle est une actrice, mon actrice préférée ! »
Isabelle Huppert prend possession de son personnage à bras le corps. Davantage qu’avec la parole, elle s’exprime avec les transformations de la chair et les circonvolutions du visage. Travail de pantomime. « J’ai traversé ce film comme une évidence, pratiquement à mon insu, sans aucun effort, comme anesthésiée », précise-t-elle. Déconstruire pour reconstruire : passage d’une posture augurale sombre, fermée et morne à une silhouette gracieuse, ouverte et lumineuse à la fin du voyage. Rupture qu’Ann peut se permettre d’autant plus facilement « qu’elle n’a pas d’enfant, aucune attache essentielle qui la rattache à quoi que ce soit, ce qui la coupe de toute culpabilité. La trahison de son mari, événement traumatique, déclenche en elle quelque chose d’irrépressible. »
Villa Amalia constitue un voyage pour retrouver une identité perdue, une quête de soi et des autres, un éveil des sens au(x) plaisir(s), un passage de l’ombre à la lumière, une œuvre dense. « Par la nature du sujet, par la manière dont il est raconté, il y a une sorte de dosage idéal », observe Isabelle Huppert. Benoît Jacquot procède par ellipse (en se délestant d’un mode narratif romanesque conventionnel), varie les mouvements de caméra (plans fixes dans la grisaille parisienne, caméra à l’épaule sous le soleil italien). Il refuse l’exposition psychologique (pas de didactisme ou de voix off pour surligner l’image, tics plombant bon nombre d’adaptations littéraires). Si on lui demande d’expliquer son travail, il hésite : « Je ne me sens pas très à l’aise pour commenter mes propres gestes, contrairement à ceux des autres. » Mais il livre quand même une clé essentielle : « Je cherchais à savoir qui était Ann et comment elle parvenait à accomplir ses gestes jusqu’à l’explication finale qui doit rétro-agir sur les images qu’elle précède. Ce rapport inversé appartient à l’essence même du cinéma. Les grands cinéastes traitent toujours des faits avant la cause. »
In fine, de grands cinéastes, il est également question. En Italie, Benoît Jacquot, héritier de la Nouvelle Vague, part à la rencontre de ses pairs/pères. La baie napolitaine fut notamment le théâtre du Voyage en Italie de Roberto Rossellini puis du Mépris de Jean-Luc Godard qui lui rendait hommage. La cabane aux volets rouges surplombant la baie et les plans fixes panoramiques en marquent la filiation. En substance, le fantôme d’Antonioni veille aussi sur la Villa Amalia, œuvre informelle, lente, sensitive qui évoque la disparition d’une femme, un milieu bourgeois étouffant, une trahison masculine au cœur de l’incommunicabilité du couple... Benoît Jacquot a réalisé son Avventura. Modestement mais sûrement !